Texte : Sebastien MorandPhotos : Claude-Alain Ferrière

Intemporel, c’est l’esprit qui anime les publications de Timeless Addict et, dans le domaine de l’automobile, s’il fallait définir la marque qui représente le mieux cet adjectif, je pense que la majorité d’entre nous répondraient Rolls-Royce.

Il était donc logique que nous vous proposions un jour un article sur une des créations du constructeur britannique et c’est désormais chose faite avec cet essai de la Rolls-Royce 20 HP. Il y en aura surement d’autre, mais intéressons-nous à celle qui tient la vedette aujourd’hui et qui, de surcroit, fête ses 100 ans.

Rolls-Royce, c’est la marque automobile ultime en matière de luxe et de confort. Depuis bientôt 120 ans, cette marque, née de l’association de Henry Royce et Charles Rolls, a conçu et continue à le faire toute une ribambelle de voitures exceptionnelles à tout point de vue.

J’ai eu la chance de conduire à plusieurs reprises les modèles actuels, ils sont clairement en dessus du reste de la production automobile. Comme j’aime le dire, il y a l’ensemble des constructeurs et il y a Rolls-Royce, un cran au-dessus. Même à l’époque de celle qui nous intéresse aujourd’hui, les commentaires étaient déjà dithyrambiques sur la qualité de ces autos. D’ailleurs, quel que soit le domaine, n’utilise-t-on pas l’expression « Ce produit est la Rolls des produits » ?

Je ne pouvais donc qu’être très impatient de découvrir une des premières autos de la marque, la 20 HP, aussi appelée « Twenty », qui fut produite de 1922 à 1929 à 2’940 exemplaires.

Je ne vais pas vous refaire l’histoire Rolls-Royce, il y a suffisamment de références sur le sujet pour avoir tous les détails. Cependant, quelques informations me semblent importantes.

Le mythe Rolls-Royce a éclos au début du siècle passé. C’est la production de la série 40/50 HP, plus connue sous le nom de Silver Ghost, qui y a grandement contribué. Ce patronyme lui a été attribué lors de la présentation du châssis AX201 qui disposait d’une carrosserie entièrement en aluminium poli à la teinte gris argenté. La référence au fantôme, « Ghost » en anglais, vient du fait que l’auto se déplace dans un silence impérial, en donnant l’impression de glisser dans l’air. A noter que cette particularité perdure encore aujourd’hui sur les modèles récents. Il a fallu toutefois attendre 1925, année du lancement de la Phantom I, pour que le nom Silver Ghost soit officialisé.

Cette Silver Ghost était une grande auto, confortable et luxueuse, qui visait une clientèle de rois ou d’empereurs et de personnes richissimes. Parmi eux, plusieurs sollicitèrent Rolls-Royce pour obtenir une voiture plus modeste par sa taille, qu’ils pourraient utiliser sans chauffeur. D’une certaine façon, le début de l’automobile plaisir et non plus uniquement un moyen de transport de l’élite de la société. C’est ainsi que la 20 HP vît le jour.

Cette « petite » Rolls-Royce, 4.52 m de long quand même, a débarqué sur les routes en 1922. Elle est motorisée par un 6 cylindres en ligne de 3’127 cm3. Ce dernier développe 53 ch à 3’000 t/min et si ça peut paraître désuet aujourd’hui, ce n’était de loin pas le cas à l’époque, surtout pour une auto qui ne pèse qu’un peu plus d’une tonne.

Ce poids est celui d’un châssis complet, avec les pneus, la batterie, les marchepieds et le porte-roue, les instruments de bord et les pleins d’essence, d’huile et d’eau. A cette période, cet ensemble composait la base d’une Rolls-Royce ; il fallait ensuite rajouter une carrosserie au choix du client. Toutefois, selon les déclinaisons, elle ne constituait pas un surplus énorme.

Le principe était identique pour les tarifs. Il fallait compter environ 1’100 Livres Sterling pour la base puis, selon la configuration, le prix correspondant à la carrosserie.

A noter que depuis le lancement en 1922 et jusqu’en 1925, la 20 HP disposait d’une boite de vitesse non synchronisée à trois rapports et de freins uniquement à l’arrière ! Ensuite, de 1925 à 1929, la transmission passe à quatre vitesses et, ô miracle, il y a en plus des freins à l’avant.

Pour revenir au moteur, il dispose déjà d’un démarreur électrique mais, la couronne du volant moteur étant usée sur l’exemplaire de cet essai, je vais démarrer cette 20 HP à la manivelle et il faut bien suivre la procédure précise, digne de celle d’un avion. On commence par connecter la batterie, ouvrir l’arrivée d’essence, placer l’interrupteur idoine dans la bonne position et surtout ne pas oublier de mettre la boite au point mort. Ensuite, placé devant l’auto (maintenant vous comprenez pourquoi il faut bien être au neutre), il faut tourner la manivelle en prenant garde aux éventuels retours.

Premier effet totalement bluffant, c’est le quasi-silence dans lequel ce 6 cylindres tourne. Déjà à cette époque, le constructeur britannique excellait dans le domaine de la quiétude et de l’agrément ultime. C’est aussi le cas lorsque l’auto est en mouvement, simplement hallucinant quand on sait que cette 20 HP a 100 ans !

Esthétiquement, à cette période, les constructeurs ne donnaient pas vraiment dans l’originalité ou l’identité stylistique unique. Presque toute la production se compose d’autos qui sont des évolutions de calèche, avec une structure en H, une carrosserie relativement carrée en son centre et des ailes déportées qui relient l’avant à l’arrière.

Certes, les Rolls-Royce se démarquent par leur très imposante calandre surplombée par la fameuse statuette « Spirit of Ecstasy ». Notre 20 HP ne déroge pas à la règle et on peut encore préciser que sur la première génération (1922 à 1925), la grille avant dispose d’ouvertures horizontales ajustables depuis le poste de pilotage pour gérer la température d’eau. Sur la seconde mouture (1925 à 1929), ces ouvrants deviennent verticaux et les phares sont fixés sur une barre transversale au lieu d’être directement installés sur les ailes.

Comme la carrosserie était personnalisable, on retrouve une multitude de versions pour la 20 HP, allant du cabriolet à la voiture entièrement carrossée, en passant par une conception « Landaulette » représentant un coupé avec une partie arrière recouverte d’une capote.

L’habitacle est assez simpliste, avec des commandes réduites au stricte nécessaire. Toutefois, je remarque la qualité des matériaux utilisés, là encore une marque de fabrique toujours d’actualité chez Rolls-Royce. On retrouve du bois et du cuir, c’est une belle présentation, parfaitement dans l’esprit de la marque. Détail toujours proposé de nos jours, les lettres RR inscrites en relief sur le cuir des intérieurs de portes.

Si l’habitabilité à l’avant est correcte, une fois installé à l’arrière, c’est bien plus cossu et spacieux. Il y a même un mini-bar et une vitre ajustable qui vient prendre place entre les passagers avant et arrière. Une manière de séparer les deux espaces mais aussi de réduire les remous à l’arrière.

Petite intermède à propos de notre véhicule d’essai. Il s’agit donc d’une première version – en conduite à droite, puisque seules les autos destinées au marché américain est disponibles en conduite à gauche – qui date de 1923. Elle a vécu toute sa vie en Angleterre avant que son propriétaire actuel, le septième, l’importe en Suisse en 2017.

Elle a été livrée neuve à un certain Charles Wright et disposait initialement d’une carrosserie « Landaulette », avec une robe de couleur blanche. Puis, dans les années 60, elle a été modifiée en « Open Tourer Barrel Side » par le carrossier Wilkinson, avec un vert foncé comme teinte principale, des ailes peintes en noir et un capot moteur en alu brut, soit sa configuration actuelle qui lui sied à merveille.

Avec la capote entièrement repliée, notre auto affiche une ligne élégante et raffinée, qui donne à l’ensemble beaucoup de prestance. Une fois le toit en place, le dessin devient plus affirmé et les proportions rendent notre 20 HP plus compacte à l’oeil.

Dans les deux cas, je la trouve très belle et je ne me lasse pas d’observer chaque détail, la conception des optiques, l’habillage en cuir des lamelles de suspension, le bois du tableau de bord et son éclairage… Je suis sous le charme ; ces voitures d’entre-deux guerres dégagent quelque chose de vraiment particulier qui me plait énormément.

Maintenant que le premier contact est établi, je suis invité à prendre place au volant de cette belle anglaise. Son propriétaire m’explique en détails son fonctionnement car, comme je l’expliquais avant, pour démarrer cette Rolls-Royce 20 HP, il ne suffit pas de tourner une clé, d’ailleurs il n’y en a pas. De plus, même une fois qu’elle est en marche, il y a un bon nombre d’informations à assimiler pour être en mesure de conduire une telle auto.

Pour rappel, comme cette 20 HP date de 1923, elle n’a pas de frein à l’avant. De surcroit, question de corser le tout, les seuls freins arrière, de type tambour, s’activent avec la pédale pour une mordache et avec un frein à main pour l’autre. En gros, en utilisant que votre pied droit, vous allez seulement ralentir la voiture et si vous devez vraiment vous arrêter, il faut en plus impérativement actionner simultanément le levier avec votre main gauche. Ça peut paraître simple sur le papier, voire amusant mais croyez-moi, dans la vraie vie, avec la circulation d’aujourd’hui, c’est un peu rock’n’roll.

J’entame les premiers kilomètres sur une route déserte car même si je pense avoir compris le système de freinage, il faut encore assimiler le maniement de la boite de vitesses non synchronisée. Heureusement, la souplesse du moteur et son couple permettent de démarrer quasiment sans mettre de gaz. Pour les changements de vitesses, deux choses à savoir : pour monter un rapport, il faut débrayer, passer au neutre, relâcher la pédale, attendre que le régime moteur chute, rappuyer sur la pédale d’embrayage et finalement déplacer le levier. Pour rétrograder, il faut débrayer, passer au neutre, relâcher la pédale, accélérer franchement pour augmenter drastiquement le régime moteur et le synchroniser à celui de la boîte, débrayer à nouveau et enfin actionner le sélecteur. Tout cela, en allant aussi vite que possible mais aussi lentement que nécessaire. Pas besoin de préciser qu’il n’est pas possible de freiner en même temps !

Vous me suivez toujours ? Pas évident n’est-ce pas… je vous le confirme. Reste qu’une fois qu’on a compris le principe et que la voiture se met en mouvement, les sensations vous transpercent le corps et affichent une immense banane sur mon visage.

N’ayant pas pour objectif de passer ma journée à faire des aller-retours sur ce chemin perdu au milieu des champs en bordure de l’aérodrome de la Gruyère, il faut maintenant s’aventurer sur la route cantonale qui traverse la vallée de l’Intyamon, direction le Pays d’Enhaut. Pour rendre le parcours plus plaisant, on opte pour un itinéraire parallèle, moins fréquenté et plus bucolique.

Rassuré par les conseils prodigués par le propriétaire, chaque kilomètre parcouru me donne un peu plus confiance. Plus je me sens à l’aise, plus j’éprouve du plaisir à conduire l’auto. Je me rends compte des qualités de cette 20 HP, avec une grande douceur dans son maniement. Il y a juste la direction qui manque un peu de finesse et qui je gère avec quelques à-coups. Je lui pardonne et avec un peu d’habitude, on arrive à contenir cet effet.

Sans cela, l’agrément est plutôt bluffant pour une voiture fêtant ses 100 ans. Les déplacements se font dans le calme, tant le moteur est silencieux, avec beaucoup de volupté, à l’instar d’une Rolls moderne. Aucun bruit de boite ou de pont, il n’y a finalement que les bruits de roulement des pneumatiques qui sont perceptibles.

L’expérience est tout simplement merveilleuse et cela même sans aller vite. Les hautes vitesses ne sont pas vraiment possibles au vue de l’âge et les performances de l’auto ; pourtant, ramenées à l’époque, elles ne déméritaient pas. Juste pour l’anecdote, une fois lancé à environ 40-50 km/h, je vous assure que la procédure de freinage « puissant et jusqu’à l’arrêt » nécessite une certaine rapidité d’action… émotions garanties ! Enfin, ça restera surtout un souvenir inoubliable, tout comme l’entièreté de cet essai.

Je profite également de vivre l’expérience en tant que passager et c’est là que je peux encore mieux constater les qualités de notre Rolls-Royce 20 HP. Quiétude et confort sont de mise, cet ADN de la marque présent depuis toujours, c’est magnifique.

Attiré depuis longtemps par les voitures d’avant-guerre et d’entre-deux guerres, j’étais très excité par ce premier essai d’une auto de cette période et je n’ai pas été déçu. Difficile en plus de faire mieux que commencer par une Rolls-Royce mais maintenant, j’ai envie de réitérer l’expérience au plus vite. Et dans la mesure du possible, avec des modèles plus sportifs, comme par exemple une Alfa Romeo 6C/8C, une Bugatti Type 35 ou une Bentley 4.5 litres « Blower ». C’est certain, ça ne va pas être évident mais on va y croire et je verrai bien ce que l’avenir me réserve.

Dernier détail sur cette Rolls-Royce 20 HP ainsi que ces consœurs de la même époque : déjà en 1922, le constructeur britannique garantissait ses autos 3 ans pour autant que le propriétaire reste le même.

Nos remerciements à Gaël pour la mise à disposition de sa somptueuse Rolls-Royce 20 HP de 1923.