Présentée au Sporting Club de Monaco lors du Grand Prix de Formule 1 en mai 1992, la McLaren F1 fête cette année ses 30 ans.
Retour sur ce qui fut considéré, et est toujours considéré par beaucoup, comme le pinacle de la Supercar.
Le lancement d’un projet tient souvent à peu de choses. Il a suffi ici d’un vol retardé en 1988, à l’aéroport de Milan, et à l’issue du Grand Prix d’Italie à Monza, pour que l’équipe dirigeante de McLaren (Ron Dennis, Mansour Ojjeh, Gordon Murray et Creighton Brown) décide de concevoir ce qui serait la voiture de sport ultime.
Le cahier des charges est simple. Aucun compromis, uniquement ce qu’il se fait de mieux.
« Well, let’s do it then! » seront les mots de Mansour Ojjeh scellant le lancement le projet, qui prendra rapidement le nom de « F1 ».
Gordon Murray avait, lui, cette idée en tête depuis la fin des années 60. Invariablement, son concept présentait trois places de front, le conducteur étant disposé au centre du cockpit, meilleure place possible. Mais il était surtout fondamental que l’auto soit utilisable, au quotidien si souhaité. Selon ses mots, il fallait réaliser : « A super sport car to end all supercars, a unique an advanced vehicle that would be usable, fast and safe but, above all, a pure driver’s car« .
Murray souhaitait réaliser une voiture pesant 1 tonne au maximum, développant 500 chevaux, avec un contenu technologique à la pointe en tous domaines, et une attention à chaque détail. Chaque fournisseur devait se conformer avec rigueur au cahier des charges, drastique, tout élément monté devant avoir une fonction.
Le design était confié à Peter Stevens. Les premiers retours sur celui-ci étaient d’ailleurs mitigés. Il n’avait pas la fulgurance, par exemple, d’une Ferrari F40. Il est pourtant aujourd’hui l’un des atouts de cette McLaren F1, devenue totalement intemporelle.
Après qu’Honda refusa de fournir le V12 souhaité, c’est BMW qui fut retenu, et Paul Rosche (déjà auteur du magistral 6 cylindres de la M1) délivra ce qui restera l’un des chefs d’œuvre des moteurs atmosphériques, le S70/2.
Si le rendu final de 6’064 cm3 était plus lourd qu’escompté, il est aussi nettement plus puissant ! 627ch, beaucoup de couple (652 Nm en pointe à 5’600 t/min) dans une auto de 1’140 kg, voilà qui pour l’époque, et encore aujourd’hui, impose le respect. Le tout produisant une musique exceptionnelle.
Détail amusant, la cinématique de démarrage avait également été adaptée par Paul Rosche selon les souhaits de Peter Stevens. Ecoutez, ci-dessous, l’anecdote, racontée par Peter Stevens lui-même.
Coque carbone (une première à l’époque pour une voiture de route), télémétrie complète, aérodynamique active, emploi massif du titane, du magnésium ou de l’or (pour tapisser le compartiment moteur et réfléchir la chaleur), tout ce qu’il était possible de concevoir il y a 30 ans se trouvera dans la McLaren F1.
Kenwood fut par exemple retenu pour la sonorisation. Gordon Murray étant un grand amateur de musique, la qualité du son était importante. La 1ère copie rendue fut quoi qu’il en soit rejetée, car trop lourde. A noter que la F1 n’avait pas de radio (Gordon Murray n’aimait pas la radio) mais un chargeur CD.
Oui, cette auto avait tout ce qu’il se faisait de mieux à l’époque. Enfin presque. La pureté de l’expérience devant primer, la F1 sera dépourvue de direction assistée, d’ABS, de contrôle de traction mais aussi de servo-frein derrière son pédalier en titane.
Pas de compromis. Sauf sur cette platine servant de support à l’interrupteur d’éclairage du compartiment moteur, détail qui reste en travers de la gorge de Gordon Murray depuis la conception.
A l’arrivée, les performances furent exceptionnelles. Malgré une boite mécanique, dépourvue par définition de tout lauch control, et des pneus de route, la F1 était capable d’abattre le 0 à 100 km/h en 3,2 sec et le 1’000 m départ arrêté en 19,5 sec.
Encore plus fou à l’époque, la vitesse de pointe était donnée pour 370 km/h. Elle sera même capable d’aller jusqu’à 391 km/h, mais le record a été homologué à 386,47 km/h (240.14 mph). Regardez ci-dessous la vidéo publiée par McLaren il y a cinq ans, à l’occasion du 25ème anniversaire de la F1.
Devant un tel déferlement de performance, l’idée vint ainsi rapidement à quelques clients de faire courir la F1 en compétition. Emmenés par Ray Bellm, quelques illustres gentlemen drivers (Thomas Bscher notamment, mais aussi Lidsay Owen Jones, ou Jean-Luc Maury-Laribière) demandèrent donc à l’usine de développer une version course.
D’abord réticent, Gordon Murray accéda à la demande et les versions GTR et LM furent prêtes pour la saison 1995. On connait le succès qui s’en suivi avec une domination en championnat BPR et surtout une victoire au classement général des 24h du Mans cette année-là, aux mains de Yannick Dalmas, JJ Letho et Masanori Sekiya.
L’exploit est sensationnel. Il s’agit à ce jour de la dernière fois qu’une voiture de route adaptée à la piste a remporté la mythique classique mancelle au classement général.
Après la mise en chantier d’une version longtail destinée à se maintenir au niveau des Mercedes CLK GTR ou Porsche GT1 bien plus extrêmes, la McLaren F1 continuera de courir avec succès, notamment au Japon, jusqu’au milieu des années 2000.
Vendue £540’000.- à l’époque, ou 1 million de dollars, et configurable à l’envie, la F1 était aussi ce qui se faisait de plus cher. Sa carrière commerciale n’a, de ce fait, pas été un franc succès. 300 exemplaires étaient espérés, bien moins seront produits. Le Sultan de Brunei, alors à son apogée, en acheta plusieurs comme à son habitude.
D’autres clients, tels que le banquier allemand Thomas Bscher évoqué ci-dessus, se servaient de leurs autos quotidiennement. Propriétaire du châssis #22 (initialement « Genesis Dark Blue » et aujourd’hui repeinte « Metallic Green », elle se trouve aux USA entre les mains du Revs Institute créé par Miles Collier), Thomas Bscher se plaisait d’ailleurs à raconter que les vitesses de plus de 320 km/h atteintes à chaque trajet sur l’autobahn, empruntée pour aller de son domicile à son bureau, avaient laissé croire à l’usine que le calculateur (qui pour la première fois pouvait être interrogé à distance) faisait des siennes et communiquait de fausses informations.
Rowan Atkinson conserva également son exemplaire #61 bordeaux de nombreuses années, en faisant l’un des plus kilométrés. Non sans deux retours à l’usine pour reconstruction à la suite de sévères accidents.
Reconstruction dont dû aussi bénéficier le châssis #67, alors propriété d’Elon Musk, l’un des sept importés neufs aux USA (avec, par exemple, le châssis #44, aujourd’hui propriété d’un certain Lewis H. ayant une affinité particulière avec ledit numéro…)
Nous avions également raconté quelques anecdotes sur les sept McLaren F1 exposées lors de Rétromobile 2022 dans notre article sur le sujet, que je vous incite à aller consulter à nouveau ! Nous profitons d’ailleurs pour remercier la société Kidston SA, les instigateurs de cette phénoménale présentation lors de l’événement parisien, de nous avoir fournis une partie des photos qui illustrent cet article.
La McLaren F1 a cessé d’être produite en 1998 après la réalisation, toutes versions confondues, de 106 exemplaires dont 69 routières (incluant les 5 prototypes XP). Élevée à présent au statut d’icône, la belle anglaise s’échange maintenant à plus de 20 millions de dollars.
Rares sont ainsi les propriétaires qui osent encore rouler leurs autos, mais certains résistent fort heureusement. Ils se reconnaitront et sont à saluer, féliciter et encourager. Ils peuvent compter sur le département MSO de l’usine pour assurer l’entretien (couteux, cela va de soi) ou la réfection complète aux souhaits des propriétaires des exemplaires en circulations. Certaines « améliorations » peuvent également apportées (téléphone Bluetooth, éclairage…).
Les heureux possesseurs peuvent aussi compter que sur quelques grands spécialistes, notamment M. Paul Lanzante en Angleterre. Ce dernier a ainsi procédé à l’homologation route de plusieurs GTR.
La tâche n’est pas mince puisque, par exemple, le système d’acquisition de données embarqué ne peut être consulté que sur un PC « portable » de l’époque. Impossible de basculer sur une technologique plus récente et seuls quelques très rares spécimens de ces ordinateurs sont encore fonctionnels à ce jour. Ils sont entretenus et réparés avec autant d’attention que pour la voiture en elle-même.
Ils sont à remercier eux aussi car ils font vivre le rêve et permettent que puissions profiter, encore longtemps espérons-le, de cette idée de l’automobile absolue des années 90.