Texte : Sebastien MorandPhotos : Thomas Chatton

Marque relativement peu connue, sauf des passionné(e)s de voitures classiques, Bizzarrini c’est avant tout l’impressionnante 5300 GT. Il existe cependant une petite sœur à la fabuleuse italienne, la 1900 GT Europa qui se veut encore plus anonyme. Toutefois, c’est avec un plaisir non dissimulé que Timeless Addict a le privilège de vous la présenter aujourd’hui.

En créant Timeless Addict, j’avais bien évidemment l’envie de partager ma passion pour l’automobile, tout particulièrement des anciennes, tant ces dernières distillent des sensations et des émotions qui malheureusement se perdent de plus en plus de nos jours.

Mais j’avais également le désir égoïste de découvrir plus en détails ces belles d’antan pour assouvir ma curiosité dans le domaine et surtout enrichir mes connaissances.

Avec cette Bizzarrini 1900 GT Europa, je coche toutes les cases. En effet, lorsqu’on m’a parlé pour la première fois de cette voiture il y a un peu plus d’année, cela a été une surprise totale. Je connaissais bien évidemment la marque, mais je n’avais jamais entendu parler du modèle. Vous pouvez donc imaginer mon excitation à l’idée de réaliser un reportage sur cette mystérieuse italienne.

Avant de palabrer au sujet de ses voitures, il faut présenter brièvement l’homme, j’ai nommé M. Giotto Bizzarrini, né en 1926 à Livourne en Italie. Après avoir obtenu un diplôme d’ingénieur, il débute chez Alfa Romeo en 1954, avant de rejoindre Ferrari en 1957.

Au sein de la légendaire et incontournable marque de Maranello, il officie pendant cinq ans à plusieurs postes, parfois en simultané, notamment designer, mais aussi pilote essayeur et ingénieur en chef. Durant cette période, il contribue à la conception de voitures exceptionnelles, telles que la 250 Testa Rossa, la 250 GT SWB et la 250 GTO. Je suis certain que même pour les plus novices d’entre nous, la simple évocation de ces noms vous fait frissonner.

Suite à quelques différents avec le Commendatore, Giotto Bizzarrini quitte Ferrari, en compagnie d’autres dissidents, pour fonder ATS (Automobili Turismo e Sport). L’aventure ne dure pas longtemps, il fait ensuite un bref passage chez Lamborghini. A Sant’Agata Bolognese, il collabore à la genèse du fameux V12 utilisé premièrement sur la 350 GT, et dont les évolutions équiperont tous les modèles jusqu’à la Murcielago.

De 1962 à 1964, il travaille pour Iso Rivolta, un autre constructeur italien méconnu, où il développe la Rivolta GT et la Grifo A3L. De cette dernière est née une déclinaison pour la course, la Grifo A3C qui deviendra ensuite la fameuse Bizzarrini 5300 GT. En effet, Renzo Rivolta étant plutôt intéressé à concevoir des voitures de route, Giotto quitte Iso pour créer sa propre marque.

Je vous passe les détails de l’affaire, avec les années ce n’est pas vraiment clair je trouve. Quoi qu’il en soit, Giotto Bizzarrini gagnera le droit de concevoir sa voiture mais pas d’utiliser le nom Grifo. Bref, durant ces années de 1964 à 1968, l’auto apparaît tantôt sous Grifo A3C, 5300 GT ou plus précisément 5300 GT Strada. Pour faire simple, je vais l’appeler 5300 GT et elle a aussi bien évolué en compétition que sur route. Un peu plus d’une centaine d’exemplaires ont vu le jour, équipés d’un V8 5.3 Chevrolet développant jusqu’à 400ch pour les versions de course.

Revenons maintenant à celle qui nous intéresse aujourd’hui, la Bizzarrini 1900 GT Europa. Initialement dessinée pour répondre à un projet soumis par Opel, la marque allemande a préféré une proposition interne pour ce qui deviendra l’Opel GT. Giotto ne s’arrête pas à cela et décide en 1966 de la produire pour son propre compte afin de proposer un modèle « entrée de gamme » et surtout tenter de faire survivre sa marque malgré une situation financière compliquée.

Malheureusement cela n’a pas suffi en dépit du vif intérêt que l’auto a suscité lors de sa première apparition au Salon de Turin. La 1900 GT Europa a donc été produite jusqu’en 1969 et seules 12 unités sont officiellement répertoriées. L’histoire dit que les châssis restants ont été assemblés plus tard et porteraient la production totale à environ 20 pièces. Qu’importe le chiffre exact, à ce niveau on peut simplement dire que cette italienne est ultra rare.

En matière de design, la 1900 GT Europa ressemble à s’y méprendre à la 5300 GT lorsqu’on la voit en photo. Logique dans un sens, elles sont toutes les deux l’œuvre de Pietro Vanni. Pourtant, en vrai, elle est bien plus petite avec un gabarit plus proche de celui d’une Lotus Elan. Difficile à croire si vous connaissez sa grande sœur et que vous découvrez nos clichés, je vais donc vous exposer les chiffres.

Alors qu’une 5300 GT mesure 4m46 de long et 1m76 de large pour 1m11 de haut, notre 1900 GT Europa mesure seulement 3m79 de long et 1m62 de large, pour 1m04 de haut. Une chose est certaine, elle est très basse et, en observant l’habitacle, je me dis qu’on est littéralement assis sur la route. Ça me fait penser un peu à la mythique Ford GT40 et ses 40 pouces de hauteur (101.6 cm), mais ça, nous en reparlerons peut-être une autre fois.

Grâce à son châssis tubulaire et une coque entièrement en fibre, la 1900 GT Europa se veut aussi hyper légère avec un poids annoncé à environ 650 kg. Pas de doute, elle joue dans la catégorie « Light is Right » si chère aux bolides conçus par Colin Chapman.

Drastiquement plus large que haute, la 1900 GT Europa dégage un charme fou. Les lignes sont élégantes avec juste ce qu’il faut de bestialité pour lui conférer une allure très sportive. Habituellement pas grand amateur de voitures noires, j’avoue que cette teinte lui va à ravir et l’alliance avec différents éléments en chrome est vraiment du plus bel effet.

Bien sûr quelques détails, aussi bien à l’avant qu’à l’arrière, font immédiatement penser à Ferrari, ou à d’autres italiennes de cette époque. Cependant, notre Bizzarrini a quand même une identité bien à elle avec un long et bas capot moteur. On dirait presque qu’il est écrasé sur le sol, toutefois cet effet est nettement plus flagrant sur la 5300 GT. Ici je trouve que le coup de crayon est nettement plus harmonieux.

Mon coup de cœur va sans hésiter à la conception des portes. La partie supérieure revient à l’horizontal avec un élément vitré qui fait un décrochement dans le toit. C’est d’une part sublime à observer depuis l’extérieur, mais ça donne aussi une vision atypique une fois installé à bord. On peut par contre imaginer que ça n’a pas dû arranger les affaires tant cela devait être compliqué et onéreux de les fabriquer.

Je me glisse à bord et je me sens plutôt à l’étroit, avec ma tête qui vient toucher le ciel de toit. On m’explique que je dois plus me coucher dans la voiture pour avoir le haut des épaules au niveau du sommet de l’assise. Ambiance course assurée, me voilà prêt pour avaler l’asphalte, avec des commandes qui tombent parfaitement dans mes mains.

Volant en bois, petits sièges recouverts de cuir brun, « Cognac » selon la fiche originale, j’adore la présentation intérieure. En face de moi, des petits compteurs pour la jauge à essence, la température de l’eau, la pression et la température d’huile. Alors qu’au milieu, au niveau de la console centrale, je retrouve le compte-tour et le tachymètre dans un format plus grand.

Ainsi, point de bosselage devant mes yeux, le tableau de bord est totalement plat, pour offrir, en combinaison avec le large pare-brise, une excellente vue vers l’avant. La vitre du hayon de coffre étant elle aussi de taille généreuse, ça me permet de bien observer ce qu’il se passe derrière. Pour un coupé sport des années 60, je trouve la vision périphérique excellente.

Pour animer la 1900 GT Europa, point de V8 comme sur la 5300 GT, il n’y aurait probablement pas eu la place, mais surtout ça aurait alourdi la svelte transalpine.

Comme mentionné au préalable, à cette époque, Giotto Bizzarrini « collabore » avec Opel et il opte pour le petit 4 cylindres 1.9, couplé à une boite 4 vitesses, qu’on retrouve justement sur l’Opel GT. Placé en position centrale avant pour une meilleure répartition des masses, le moteur développe 110 ch et promet des bonnes performances au vu de la légèreté de cette 1900 GT Europa. La fiche technique de l’époque annonce une vitesse de pointe à plus de 200 km/h.

Toutefois, notre modèle d’essai dispose lui d’une autre mécanique. Aussi de source Opel, il s’agit d’un quatre cylindres 2.4, couplé à une boite 5 rapports, dont la puissance atteint 200 ch ! Je vous laisse imaginer que mis en relation des 650 kg, ça marche plutôt bien. Faut-il encore oser rouler vite avec une voiture de cette génération.

Certes, ce n’est pas « 100% d’origine », mais la modification a été faite il y a bien longtemps et aujourd’hui cette voiture est parfaitement identifiée avec ce nouveau moulin. A noter que le moteur original est en possession du détenteur de cette auto. N’ayant pas essayé cette dernière avec son moteur d’origine je ne peux pas comparer, mais en tout cas, avec sa mécanique actuelle, je la trouve diablement performante et parfaitement homogène.

Comme de coutume, j’aborde les premiers kilomètres avec prudence. Pas de besoin de rappeler qu’il faut toujours prendre le temps de découvrir une voiture, surtout de ces années où elles avaient toutes un caractère bien spécifique.

Assez rapidement j’assimile cette position de conduite couchée et je constate que le comportement routier est plutôt satisfaisant. C’est même très honorable, je m’attendais à quelque chose de plus artisanal. En fait, je pense que grâce au poids contenu, mais aussi à une suspension indépendante sur les quatre roues et un différentiel à glissement limité, l’ensemble de la conception est bien emmanché. La direction est précise et le châssis encaisse les virages à bon rythme. Le maniement de la boite de vitesse est ferme avec un verrouillage des rapports assez viril, j’aime beaucoup.

Les kilomètres s’enchaînent, j’augmente gentiment la cadence au chant plutôt sympathique de cette vigoureuse mécanique. Les montées en régime sont bonnes, indépendamment de la masse supplémentaire engendrée par mon copilote et moi-même, environ 28% en plus, ce n’est pas négligeable. Le moteur est rond, très souple, permettant de rouler tranquillement, voire d’attaquer franchement.

Il n’y a que la suspension arrière qui brille par son absence quasi totale. En fait, c’est avant tout les pneus qui doivent faire l’effet d’amortisseur tant on ressent toutes les aspérités de la route avec un train arrière qui rebondit abruptement à chaque imperfection du bitume. Mais vraiment c’est son seul véritable défaut et à la vue de son histoire, je lui pardonne.

Concernant notre voiture d’essai, il s’agit donc du châssis B508 produite en 1969. Elle a d’ailleurs été exposée au Salon de l’Automobile de Paris cette même année avant de partir en Belgique, puis en Allemagne où elle a passé la majeure partie de sa vie.

Si aujourd’hui la voiture est noire, initialement elle était peinte dans une couleur appelée « Dark Blue Metallic ». On peut aussi mentionner qu’elle a fait une apparition remarquée à Pebble Beach en 2016, lors du fameux Concours d’Élégance.

Notons encore que la marque est sur le point de revivre grâce au puissant groupe Pegasus qui a nommé à la tête de ce projet un certain Dr Ulrich Bez. Personnage connu et reconnu de l’automobile, il a notamment travaillé pour Porsche et BMW, mais surtout il a été le CEO d’Aston Martin entre 2000 et 2014. Une présentation d’une nouvelle Bizzarrini est prévue prochainement, reste à voir ce que ça donnera.

Voilà, la rencontre avec cette belle italienne touche à sa fin et je ne peux pas rester insensible à son charme. Il semblerait que je ne sois pas le seul, tant les têtes se retournent sur son passage. J’ai aussi profité de la regarder évoluer sur la route et j’avoue que c’est tout aussi plaisant que d’être à bord. Avec sa silhouette de guêpe, cette Bizzarrini 1900 GT Europa se déplace dans le paysage avec élégance et dynamisme, quelle beauté.

Nos remerciements à Sioux Automobiles à Genève pour la mise à disposition de cette sublime et rare Bizzarrini 1900 GT Europa.