Ma passion pour les voitures anciennes m’a poussé à créer Timeless Addict, et même si j’en ai rêvé, je ne pensais pas que cela me permettrait de prendre le volant d’une légende telle que la Cobra.
Pourtant, ce moment incroyable est arrivé, grâce à la confiance et l’amitié de Pascal Gaudard de Sioux Automobiles. Certes, ce dernier m’a déjà permis de réaliser plusieurs essais magnifiques, mais là, pour moi, on passe à une étape supérieure avec le mythique roadster imaginé par Carroll Shelby.
Un rêve se réalise, une rencontre forte en émotions et surtout la découverte d’une auto tout simplement phénoménale, l’AC Cobra 289 Roadster.
Impossible de le cacher et ceux qui m’ont croisé depuis ce jour merveilleux le savent déjà, il y a un avant et après dorénavant. Conduire cette AC Cobra 289 Roadster dans sa déclinaison la plus sage, à savoir une « Street » avec ailes plates, a été pour moi une révélation et reproduire cette expérience est maintenant une obsession qui ne me lâchera plus jamais. Bon, j’ai vite remis les pieds sur terre en sachant que jamais je ne pourrai en posséder une mais, qui sait, peut-être que j’aurai la chance d’en conduire d’autres à l’avenir.
Pour les passionné(e)s d’automobiles, la Cobra est un mythe que tout le monde connaît. En revanche, j’ai réalisé que pour ceux qui n’avaient pas vraiment un grand intérêt pour les bagnoles, la voiture est relativement méconnue. En effet, si tout le monde est en mesure d’identifier une Ferrari ou une Porsche, même des anciennes, ce n’est de loin pas le cas pour l’AC Cobra. Je vais donc commencer par présenter brièvement la belle.
Son origine tout d’abord… Anglaise ou américaine ? Les deux en fait ! Si la base est une AC Bristol, créée par John Tojeiro sous mandat des frères Hurlock, alors propriétaires de la marque anglaise AC Cars Ltd, le reste de la conception vient du talentueux Carroll Shelby basé aux Etats-Unis. Impossible de parler de Cobra sans le mentionner. Ce dernier, notamment vainqueur des 24 Heures du Mans en 1959 sur une Aston Martin DBR1, ne peut plus piloter à la suite de problèmes de santé aux début des années 60. Avec, entre autres, l’aide de Ken Miles et Phil Remington, il décide donc de concevoir une auto qui viendrait rivaliser avec les Ferrari.
Pour ce faire, il équipe une AC Bristol d’un V8 Ford, tout d’abord 260ci, puis le fameux 289ci qui anime celle qui nous intéresse aujourd’hui, et ensuite il place même un « big block », le démoniaque 427ci. C’est probablement cette mouture de Cobra qui est la plus connue au monde et aussi la plus copiée. En effet, la Cobra est vraisemblablement la voiture dont il existe le plus de réplique, à un tel point que même en roulant avec une « vraie », les gens que vous croisez pensent immédiatement que c’est une « fausse ». Niveau modestie, c’est l’objet parfait.
Donc, pour revenir à son histoire, la bête anglo-américaine est dévoilée sous le nom de Cobra en 1962, lors du Salon de New York. Dès 1963, le moteur initialement installé est détrôné par la dernière évolution du V8 4.7 (289ci), tout comme la direction à vis qui est échangée par une direction à crémaillère. De plus, comme je l’indiquais au préalable, l’auto se décline, dès 1965, avec un V8 7.0 (427ci). Les Cobra seront produites jusqu’à la fin des années 60, pour un total d’environ 1’000 voitures.
Conscient que le roadster ne suffirait pas à venir battre Ferrari en compétition, notamment avec la fantasmagorique 250 GTO, Carroll Shelby conçoit en 1964 le coupé Shelby Daytona Cobra. Ce dernier est encore plus mythique et rare, puisqu’il n’existe que 6 exemplaires ! Nous aurons l’occasion d’y revenir lors d’un prochain reportage. En deux mots, après avoir gagné le championnat du monde GT en 1965, le projet est mis à la trappe lorsque Ford mandate Shelby pour finaliser la conception d’une autre légende, la GT40. Mais ceci est une autre histoire.
Dans ma jeunesse j’étais attiré par la déclinaison la plus bestiale, à savoir la Cobra 427. Mais avec le temps et les rencontres, ma passion a jeté son dévolu sur la 289, notamment à la sauce FIA que j’ai pu admirer à de multiples reprises lors du Goodwood Revival. Diablement impressionnantes, aussi bien par leurs performances que par leurs lignes, il est difficile de rester indifférent aux Cobra, toutes versions confondues. Reste que pour moi, la 289 dégage plus de charme, tout en conservant ce qu’il faut d’agressivité.
Pour parler spécifiquement de celle que nous avons la chance d’essayer aujourd’hui, du fait qu’elle dispose d’ailes plates, elle se veut même plutôt discrète. C’est d’ailleurs probablement pour cela que les curieux que nous avons croisé pendant notre essai n’ont peut-être pas tout de suite reconnu une Cobra.
Notre Cobra 289 Roadster est donc un modèle MkII de 1964, en version « Street » avec des ailes plates. Sa teinte rouge lui sied plutôt bien et c’est surtout sa couleur d’origine, combinée avec son intérieur cuir noir et ses jantes à rayons chromées. Pour être encore plus précis sur l’auto concernée, nous avons affaire au châssis « COX 6012 ». Cette Cobra est l’exemplaire qui a été présenté au Salon de Genève en 1964 ! C’est d’autant plus génial de pouvoir vous en proposer l’essai aujourd’hui, tant son histoire est liée à notre région.
Cette Cobra a donc été commandée par l’importateur suisse de l’époque, Hubert Patthey, afin de l’exposer au Salon de Genève 1964. Toutefois, comme les frères Hurlock n’arrivaient pas lui confirmer qu’elle serait disponible à temps, en début d’année, M. Patthey décide d’appeler directement Carroll Shelby. Ce dernier fait le nécessaire auprès des frères Hurlock en leur demandant de palier au souci de disponibilité des versions européennes en prenant une de celle prévue pour les USA. C’est ainsi que notre AC Cobra 289 « COX 6012 » est finalement arrivée en Suisse en février 1964, mais avec quelques pièces frappées « 2354 » qui étaient destinées à la Shelby Cobra « CSX 2354 ».
Petite parenthèse, les modèles pour l’Europe portent le nom d’AC Cobra, alors que ceux pour les Etats-Unis sont des Shelby Cobra. De plus, les dénominations de châssis sont spécifiques, à savoir COX pour Cobra Export signifiant que l’auto a été construite en Angleterre mais exportée en Europe et celles restées dans leur pays d’origine disposent d’un châssis commençant par COB (B pour Britain). Finalement, celles pour les USA sont des CSX, pour Carroll Shelby Export.
Fin de la parenthèse, revenons à notre voiture d’essai avec un autre détail amusant. Lors de son homologation dans notre pays, le rétroviseur central d’origine a été refusé sous prétexte qu’il disposait d’une surface trop petite. Monsieur Patthey l’a remplacé par un modèle « Lucas » provenant d’une Jaguar Mk2 et, à ce jour, c’est toujours celui-ci qui est sur l’auto.
Cette Cobra débute sa vie en Suisse, chez un architecte du canton de Berne en remplacement d’une AC Ace de 1959, également rouge. Il la garde jusqu’en 1971, période pendant laquelle il participe à quelques courses, notamment sur le circuit de Lignières. Après cela, la voiture part dans les environs de Zurich, puis vient dans le canton de Vaud et finalement retourne chez le second propriétaire qui regrettait de l’avoir vendu.
En 1998, ce dernier la vend à nouveau et cette fois elle quitte la Suisse pour aller chez un passionné en Allemagne. C’est ce collectionneur, grand connaisseur de Cobra et possédant également une 427, qui découvrira l’anecdote des pièces ayant le numéro « 2354 ». Dix ans plus tard, il la cède à un ami et collectionneur autrichien qui la conservera jusqu’à fin 2010.
En janvier 2011, Sioux Automobiles en fait l’acquisition et la rapatrie sur ses terres presque natales à Genève. Aujourd’hui, la voiture affiche un peu plus de 82’000 km au compteur, c’est le kilométrage exact parcouru depuis 1964 et elle n’a jamais subi de restauration. En 2011, lors d’un service, il a même été constaté qu’elle avait encore son embrayage d’origine ! Le moteur est le bloc original d’époque, tout comme l’est le reste des pièces mécaniques qui animent cette sublime Cobra.
Notons encore qu’en 2017, à l’occasion du deuxième opus du Concours d’Élégance Suisse, qui se déroule dans les jardins du Château de Coppet (ndlr : la sixième édition a eu lieu les 18 et 19 juin derniers), l’auto a remporté le Prix du Jury Honoraire.
Amoureux de la Cobra depuis toujours, il est difficile pour moi de rester objectif en l’admirant. Les lignes sont élégantes tout en étant sportives. La bouche béante, agrémentée d’une prise d’air supplémentaire sous l’auto, lui confère juste ce qu’il faut d’agressivité, notamment du fait que seuls les bumpers font office de pare-chocs. Normalement sur ces modèles, il y a encore un entourage de calandre, mais j’avoue que je la préfère ainsi.
Pas de fioriture, ni d’attributs extravagants comme on s’attend à voir lorsqu’on évoque le nom Cobra car, comme je l’ai déjà dit, nous avons là une version de route à ailes plates. Bien entendu, cela reste relativement voyant comme auto et ça se confirme pendant notre essai au vu des têtes qui se retournent et des pouces qui se lèvent. Néanmoins, c’est quand même la plus discrète des Cobra.
Une fois la petite porte ouverte, je me glisse à bord et j’admire cet habitacle réduit à son plus simple appareil. Normal pour une voiture de sport de cette génération. Le grand volant en bois, la multitude de compteurs et le levier de vitesses, finalement on n’a rien besoin de plus quand le plaisir de conduite est au programme. Pour revenir à l’ensemble des compteurs et autres jauges, ils sont de la marque Smiths, confirmant que c’est bien un modèle européen. Sur les versions américaines, les Cobra sont équipées de Stewart Warner en miles.
La carrosserie en aluminium permet d’afficher un poids avoisinant la tonne ce qui, associé avec les 271 ch du V8 4.7, pour environs 400 Nm de couple, promet des bonnes sensations. Le tout est couplé à une robuste boite Borg-Warner à 4 rapports. Le 0-100km/h est abattu en environ 5.5 secondes, ce qui est une belle performance en 1964. On peut encore préciser que la Cobra 289 dispose de suspension indépendante et de quatre freins à disque.
Par ailleurs, à l’époque, il était possible en option d’équiper ce V8 d’un carburateur Holley au lieu de l’Autolite de notre auto et avec une pipe d’admission Shelby en alu, au lieu d’être en fonte. Ainsi on obtenait un peu plus de 300 ch, soit autant que sur la fameuse Shelby GT350 équipée du même moteur. On espère d’ailleurs pouvoir vous proposer un essai prochainement de cette autre légende de l’histoire automobile.
Bon, vous l’avez compris, je suis sous le charme en la regardant, mais il serait quand même temps de faire rugir la belle. Je tourne la clé et la sonorité traditionnelle du bon gros V8 américain provoque immédiatement un sourire sur mon visage. Sourire que je ne lâcherai plus jusqu’au moment de m’extirper du siège conducteur. Les borborygmes de cette mécanique m’ont envouté à jamais.
J’enclenche la première et c’est parti pour une expérience unique. Tout de suite je constate l’immense facilité à prendre en main cette Cobra. L’embrayage n’est pas contraignant, la boite de vitesse se manie avec aisance et la direction n’est pas trop dure, du moment bien sûr que la voiture est en mouvement. Je regarde Pascal, l’air presque surpris, et il me répond simplement que ce n’est que le début.
Nous sortons d’une zone industrielle un jour férié, il n’y a quasiment pas de circulation, c’est plutôt rassurant quant on connaît le prix de la belle. Non, je ne le mentionnerai pas, ça ne sert à rien… Après quelques kilomètres en mode balade, je découvre une auto douce, grâce à la souplesse de sa mécanique, et plutôt très docile. Cheveux au vent, enfin le peu qu’il me reste, et sans protection excepté le pare-brise muni de petits saut-de-vent latéraux, même en roulant cool, les émotions sont au rendez-vous. C’est un régal de cruiser avec cette Cobra.
On arrive sur des routes de campagne que je connais bien et j’augmente le rythme. C’est toujours aussi limpide à rouler et la musique du V8 ne fait qu’accentuer ma mine ultra joviale. Je me force à être un minimum sérieux pour les photos car, à en croire notre photographe, j’ai vraiment l’air d’un gosse dans un magasin de jouets à la veille de Noël. Les différentes jauges me valident que tout est à bonne température, je monte plus haut dans les tours avant d’enquiller les rapports, et c’est toujours aussi facile. Je continue crescendo, le rythme devient soutenu et notre Cobra avale les virages avec détermination et volupté, je jubile.
Autre constatation, la voiture est ultra homogène. Ce moteur n’est pas too much comme doit l’être celui d’une 427 et, surtout, le châssis, ainsi que les suspensions, donnent à l’ensemble une cohésion tout simplement hallucinante ! Cette Cobra 289 dévore l’asphalte avec une telle aisance, surtout pour une auto de 1964, que je suis vraiment bluffé. C’est fabuleux et je ne m’attendais pas du tout à ce que ça soit aussi extraordinaire. Bravo M. Shelby, vous et vos équipes avez effectué un travail impressionnant !
Je continue de me balader, en alternant conduite sportive et allure plus tranquille, hypnotisé par la mélodie du V8. Impossible d’imaginer devoir écourter ces instants magiques, vraiment cette Cobra est merveilleuse en tout point de vue. Les sensations qu’elle procure, aussi bien à l’arrêt qu’en la conduisant, sont difficilement transcriptibles par écrit. Mais, croyez-moi sur parole, je goûte à quelque chose qui est terriblement addictif et je ne peux qu’espérer que ça se reproduise, si possible très rapidement et à multiples reprises. Celles et ceux qui ont eu la chance de conduire une véritable Cobra me comprendront, j’en suis sûr !
Tout comme pour le serpent du même nom, patronyme qui d’ailleurs lui convient à merveille, la « morsure » de cette Cobra est fatale. Je ne suis pas près de m’en remettre et je dois admettre que conduire cette Cobra 289 Roadster est probablement ma meilleure expérience automobile à ce jour.
Certes il y a encore quelques mythes roulants sur ma « wish list », mais même si certaines promettent beaucoup, je ne suis pas convaincu qu’elles m’apporteront le savant cocktail que j’ai dégusté avec cette Cobra.
Nos remerciements à Sioux Automobiles à Genève pour la mise à disposition de cette mythique AC Cobra 289 Roadster.