Texte : Sebastien MorandPhotos : Thomas Chatton

Les essais s’enchainent pour Timeless Addict et les légendes que nous avons la chance de découvrir également. Aujourd’hui, place à celle qui a fait la gloire de Lancia en rallye dans les années 70, la Stratos.

Peu connue du commun des mortels, elle est élevée au rang de mythe par les passionnés de rallyes et ne laisse pas indifférent les amateurs de belles mécaniques. Bien évidemment, pour cet essai civilisé, nous prenons le volant de la déclinaison routière, appelée Stratos HF Stradale.

Si aujourd’hui Lancia tente de renaître avec une petite citadine électrique, il est clair que pour les passionnés que nous sommes, l’emblématique constructeur italien a perdu de son aura depuis plusieurs années. Timeless Addict se doit donc de faire perdurer la légende en présentant les modèles iconiques de la marque, comme nous l’avons fait il y a quelques temps avec l’essai de la Delta HF Integrale.

D’ailleurs, dans ce précédent article, j’avais brièvement parlé du parcours de Lancia en compétition mais en mettant en avant les années 80, avec les 037, Delta S4 et Delta HF Integrale. Avant cela, la marque italienne brillait déjà en rallye, tout d’abord avec la petite Fulvia puis dès 1972, avec celle que nous essayons aujourd’hui, la Stratos.

Entre 1972 et 1973, la Stratos Groupe 5 a été engagée dans différents rallyes pour effectuer quelques tests. Puis dès 1973, Lancia décide de faire homologuer sa voiture en véritable version de rallye pour s’attaquer sérieusement à la compétition, ce pour quoi elle avait été initialement conçue à la demande de Cesare Fiorio. D’ailleurs, la Stratos est la toute première voiture qui a été spécifiquement développée pour le rallye. Travaux faits sous la gestion de Nicola Materazzi auquel on devra ensuite la Ferrari 288 GTO, la Ferrari F40 ainsi que la Bugatti EB110. Jolies réalisations pour ce talentueux ingénieur.

Prérequis pour briguer l’homologation dans le championnat du monde des rallyes, Lancia a dû produire une déclinaison homologuée pour la route : la Stradale objet de cet essai. Il en fallait 500 pour répondre au règlement et il semble que les équipes de Lancia aient joué de quelques stratagèmes pour obtenir le sésame. Selon les recherches, il n’y aurait eu que 492 unités produites, dont 401 Stratos HF Stradale fabriquées entre 1973 et 1978.

Homologuée officiellement en compétition depuis le 1er octobre 1974, la Stratos n’a pris part qu’à la seconde partie du Championnat du Monde des Rallyes 1974. Malgré tout, avec son efficacité stratosphérique, l’auto remporte le titre dès cette première année, tout comme en 1975 et 1976, avec le pilote italien Sandro Munari à son volant.

L’histoire laisse entendre que le palmarès aurait pu être encore bien plus glorieux mais la politique en a décidé autrement : pour le Championnat du Monde des Rallyes de 1977, alors que Lancia était propriété de Fiat, les dirigeants du groupe ont imposé la Fiat 131 Abarth en lieu et place de la Stratos, pour des raisons de stratégies commerciales.

Née pour la compétition, la Stratos arbore un style très particulier et son dessin est l’œuvre du carrossier italien de renom Bertone, avec le coup de crayon de Marcello Gandini. La Stratos est basée sur un châssis tubulaire avec des triangles superposés à l’avant et une suspension McPherson à l’arrière développée par Gian Paolo Dallara.

L’auto est extrêmement compacte, avec une longueur de 3.71 mètres, une largeur de 1.75 mètres et une hauteur de 1.11 mètres. L’avant plat et anguleux pointe le sol et l’arrière train proéminent abrite la mécanique ; entre les deux, c’est un véritable cockpit d’avion de chasse, avec un pare-brise à courbure ovoïde qui promet une excellente vision à 180 degrés vers l’avant. C’est tellement atypique, aucune autre voiture ne lui ressemble vraiment. Certes, on retrouve quelques inspirations puisées sur la Lamborghini Miura ou l’Alfa Romeo Montreal mais sinon, c’est vraiment un look unique.

D’ailleurs, si je suis clairement subjugué par sa robe au premier regard, dès que je commence à la détailler, je lui trouve quantité de défauts. On ne peut assurément pas parler d’élégance ou de beauté. En fait, son originalité – pour ne pas dire sa mocheté – et son histoire légendaire la rendent tellement désirable qu’il n’est pas étonnant de la trouver attirante, pour ne pas dire sexy.

Notre exemplaire d’essai date de 1976 et il a été entièrement restauré en Italie il y a quelques années. Sa teinte « Orange Lancia » est sa couleur d’origine et la voiture dispose du béquet à l’arrière ainsi que du spoiler en plastique noir sur le haut du capot moteur. Difficile de trouver des informations précises sur ces deux appendices. Selon moi, ça devait être un accessoire de l’époque dont les deux éléments venaient ensemble. On voit souvent des versions Stradale qui ne les ont pas.

A bord, c’est l’esprit des années 70 qui domine, avec un habillage des sièges en tissu beige-brun. Stricte deux places, les petits baquets forcent à opter pour une position couchée ; cela nécessite un petit temps d’adaptation mais c’est primordial si on ne veut pas avoir la tête collée au ciel de toit. J’avais déjà découvert cela lors de mon essai de la Ferrari 365 GTB/4 Daytona mais ici, c’est autrement plus exigu.

A part ça, aucun chichi à bord, on voit bien que la voiture a été développée pour la course. D’ailleurs, les intérieurs de portes disposent d’une cavité permettant de loger un casque de chaque côté.

Je note le système d’ouverture des fenêtres qui coulissent au moyen d’une molette qu’on dessert, proposant ainsi en position totalement ouverte une disposition surprenante de la vitre, comme vous pouvez le voir sur les photos. Avantage indéniable, il n’y a aucun courant d’air désagréable sur la nuque et suffisamment d’air pour rafraîchir l’habitacle.

On peut également relever la taille relativement généreuse du coffre situé en retrait du moteur, lui-même placé en position centrale arrière. Cet espace de rangement se trouvant pile au-dessus des échappements, il faut faire attention de ne pas y stocker des choses sensibles à la chaleur

Pour continuer dans les particularités, je suis sous le charme de la cinématique des grands ouvrants situés devant et derrière le poste de pilotage, qui basculent respectivement vers l’avant et l’arrière. Un trait esthétique qui s’inspire de la Miura mais que nous avions aussi pu admirer sur la Ferrari 512 BBi. Si celui situé à la proue permet de ranger la roue de secours, c’est bien évidemment celui à la poupe qui nous intéresse le plus.

C’est là qu’on retrouve la mécanique qui anime la Stratos HF. Il s’agit d’un V6 2.4 d’origine Ferrari, le même que celui qui équipe la sublime (Ferrari) Dino 246 et la Fiat Dino. Dans la Stratos, il offre une puissance de 190 ch, soit 10 ch de plus que la Fiat et 5 ch de moins que la 246 Dino car il ne fallait pas bousculer la hiérarchie. Pour les versions de course, ce moteur préparé développait 280 ch et même jusqu’à plus de 400 ch pour les modèles équipés d’un turbo, version qui n’a jamais été vraiment fiable.

Le V6 est couplé à une boite manuelle à 5 rapports et la puissance est transmise aux roues arrière exclusivement. Avec un poids d’environ 900 kg, cela promet de bonnes sensations. La fiche technique annonce 230 km/h en vitesse de pointe. Attention toutefois, avec son empattement très réduit (218 cm), la Stratos pourrait vite pivoter, en particulier sur chaussée glissante.

Il est temps de me glisser au volant avec une petite appréhension liée à son statut de légende et non sans peine tant l’accès est malaisé. Une fois le moteur démarré et les premiers kilomètres parcourus, la pression redescend rapidement. En effet, malgré son look ravageur et son ADN sportif, la déclinaison Stradale est plutôt facile à prendre en main. Certes, il faut s’habituer à la position couchée mais par contre aussi bien l’embrayage que la boîte, la direction ou les freins font de l’ensemble une auto plutôt docile. De plus, le V6 ronronne à merveille et il se montre lui aussi très doux. Je suis surpris par la facilité à se déplacer tranquillement en milieu urbain. Néanmoins, installé dans ce véritable cockpit, l’auto n’invite pas vraiment à se balader à la cool.

Une fois sorti de la ville et en m’assurant que la mécanique est à bonne température, j’augmente progressivement le rythme. En dessous de 4’500 t/min, tout semble un peu fade et détonne presque avec l’ambiance distillée à bord. Passé ce régime et tout en conservant une sonorité relativement feutrée, le V6 dévoile son âme sans aucune timidité. Grâce à son poids contenu, la Stratos révèle alors son véritable potentiel. Certes, ce n’est pas vraiment diabolique mais ça permet d’avaler le bitume à très bon train et les sensations sont bien au rendez-vous. L’esprit compétition est omniprésent, l’isolation, aussi bien phonique que thermique, est réduite au strict minimum et on vit l’expérience dans sa totalité. Il ne manque qu’un tracé ultra sinueux type Tour de Corse pour que l’immersion soit totale.

Je trouve toutefois que le châssis et surtout la direction manquent un peu de rigueur et je dois avouer que je me sens moins en confiance qu’au volant d’une Dino 246. Cette dernière m’avait procuré des sensations plus sereines et j’étais plus à l’aise pour hausser le rythme de conduite.

C’est peut-être aussi la différence entre le conducteur averti que j’estime être et un pilote que je ne suis clairement pas. Finalement, conduire une Stratos, ça se mérite et ce n’est pas à la portée de tout un chacun.

Au fil des kilomètres, j’apprends à mieux connaître l’auto et j’arrive progressivement à enquiller les courbes de plus en plus vite, tout en restant bien évidemment très humble. La voiture ne prend quasiment aucun roulis et elle est très agile à conduire, c’est un régal. Néanmoins, on sent qu’elle nécessite un bon niveau de pilotage pour en repousser les limites.

L’expérience touche à sa fin et c’est le sourire aux lèvres que je me vois contraint de ramener cette sensationnelle Lancia Stratos HF. Le mythe est bel et bien réel. En prenant le volant d’une telle légende, je me sens chanceux et je ne peux que reconnaître encore plus qu’avant le talent des pilotes des années 70.

Véritable icône pour tous les amateurs de rallyes, j’ai pu constater avec surprise pendant cet essai que finalement, peu de gens connaissaient la Stratos. Par contre, les amateurs qui m’ont interpellé avaient tous des étoiles dans les yeux en admirant cette légendaire italienne au palmarès éblouissant.

Nos remerciements à Sioux Automobiles à Genève pour la mise à disposition de cette magnifique Lancia Stratos HF Stradale.